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La bataille de Koursk

Créé le : 6/9/2004
Edition du : 12/9/2005
Auteur : Zeedap

"39-45 Stratégie" vous propose pour enrichir vos connaissances et ne pas laisser tomber dans l'oubli de nombreux documents écrits au lendemain de la seconde guerre mondiale, de découvrir ou redécouvrir les aspects de différentes batailles ou évènement de ce second conflit mondial tel qu'il furent présentés par la revue Historia à la fin des années soixante. Tous ces textes et images ont été retranscrits et numérisé grâce au concours d'un de nos lecteur, connu sous le pseudo d'Albanovic.

 

 


(Historia Magazine  N° 52
du 14 Novembre 1968)

SOMMAIRE

1. La Bataille de Koursk :

- Introduction et préparatif

- L'attaque allemande

- La contre attaque soviétique

2 - Documents graphiques (cartes)
 

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KOURSK LE DUEL DES BLINDES
Par le Colonel G.A.Koltounov

Au cours de l'été de 1943, se produisit sur le front de l'Est l'un des plus terribles chocs de blindés de toute la guerre : la bataille de Koursk. Comme pour Moscou et pour Stalingrad, ce fut un affrontement effroyable par son intensité et d'une ampleur considérable. Des armées, fortes de millions d'hommes de chaque côté, s'étaient empoignées dans une lutte sans merci qui dura quinze longues journées. Jamais, au cours de la guerre, on n'avait vu et l'on ne verrait un plus grand nombre de blindés en action. Les attaques allemandes, qui visaient à récupérer l'initiative stratégique en Russie et à modifier le cours de la guerre, furent littéralement annihilées.

Au cours de l'été de 1943, on put constater un changement d'orientation radical dans la stratégie employée sur le front de l'Est le front décisif de cette guerre. Après l'offensive qui suivit la bataille de Stalingrad, l'armée Rouge avait arraché l'initiative aux Allemands et l'avait conservée. Les attaques soviétiques avaient non seulement fait évacuer aux envahisseurs germains les territoires qu'ils avaient conquis en 1942, mais encore libéré de nombreuses villes et régions. Des millions de citoyens soviétiques avaient ainsi été délivrés de l'oppression nazie et l'armée Rouge avait commencé l'expulsion massive des envahisseurs de la totalité du territoire soviétique.

Les défaites subies à Stalingrad et pendant l'offensive d'hiver des troupes soviétiques avaient posé au grand quartier général allemand le problème de la stratégie à adopter sur le front de l'Est. Prévoyant une offensive des Russes, l'Allemagne pourrait rester sur la défensive. Mais quel effet cette attitude produirait-elle sur le moral de l'Allemagne et de ses alliés? Le fait de renoncer à prendre l'initiative ne pouvait que faire se dresser devant le monde entier - et avant tout devant l'Allemagne - le spectre d'une défaite finale admise par le Reich lui-même. Ce n'était donc qu'en prenant l'offensive que l'Axe pourrait se préserver de la désintégration, que la foi en la victoire pourrait subsister en Allemagne, que les peuples des pays envahis pourraient continuer d'être tenus en esclavage sous la menace et qu'enfin la puissance et l'invincibilité des armées germaniques pourraient continuer de représenter quelque chose aux yeux du reste du monde !

 

« Tigre » et « Panthère »

Et voilà pourquoi le haut commandement allemand décida de monter une puissante offensive d'été sur le front de l'Est afin de reprendre en main l'initiative stratégique. II comptait ainsi consolider le bloc et restaurer le prestige allemand, qui avait subi quelques accrocs. Le chef d'état-major de l'O.K.W., le maréchal Keitel, était tout à fait de cet avis, qu'il exprima du reste lors d'une des conférences tenues à la chancellerie du Reich « Il nous faut attaquer, c'est une nécessité politique. »

Les militaires et les dirigeants politiques allemands étaient unanimes à penser qu'un succès à l'est saperait les fondements de la coalition alliée et l'amènerait sans doute à se disloquer, provoquant ainsi le mécontentement du gouvernement soviétique et de toute la population russe à l'égard des Américains et des Anglais, qui différaient sans cesse l'ouverture d'un second front en Europe. Comme l'écrit l'historien de l'Allemagne de l'Ouest, Walter Gôrlitz, Hitler pensait que « plus tôt un nouveau coup important serait frappé en Russie, plus tôt la coalition entre l'Est et l'Ouest s'effondrerait ».

En préparant cette offensive d'été, les dirigeants allemands tenaient compte de leur potentiel économique qui se trouvait en constante progression. La production de chars moyens et lourds, qui était de 5 700 en 1942, était montée à 11 900 en 1943 et, dans le même temps, celle des avions était passée de 14 700 à 25 200. Quant aux canons et mortiers, le Reich en avait produit deux fois plus en 1943 qu'en 1942, sans compter que les derniers sortis étaient pour la plupart d'un type nouveau. Les munitions, elles, sortaient à une cadence trois fois plus rapide en 1943 qu'en 1940. Dans ces conditions, le haut commandement allemand était en mesure non seulement de combler ses pertes en armes et en matériel, mais encore d'équiper de nouvelles unités qui étaient sur le point de voir le jour.$

Sur ce nouveau matériel, de nombreux espoirs étaient fondés, en particulier sur les récents chars et canons d'assaut dont la production s'était singulièrement accrue au cours de l'été de 1943. Le Pzkw-VI « Tigre », puissante machine pesant 56 tonnes, armée d'un canon de 88 ainsi que de deux mitrailleuses, bénéficiait d'un blindage frontal épais de 100 mm (150 mm pour le « Tigre Royal »).

Le nouveau char moyen Pzkw-V « Panthère » était aussi entré en production massive et le nouveau canon automoteur « Ferdinand », avec son blindage frontal de 203 mm et son tube à tir rapide de 88 mm, sans compter sa mitrailleuse, était également inscrit sur les plannings de production.

Les Allemands avaient de plus accordé la plus grande attention au renouvellement du matériel de la Luftwaffe. Celle-ci avait déjà commencé à recevoir de nouveaux appareils, comme le Focke-Wulf-190 A, chasseur dont la vitesse maximale dépassait 680 Km/h, et le Henschel-129, employé en appui direct d'infanterie sur le champ de bataille. Tous les deux possédaient un armement important.

Tandis qu'ils dotaient leurs forces armées de nouveaux matériels, les Allemands se hâtaient de compléter leurs divisions, qui avaient subi de lourdes pertes. En juillet 1943, les effectifs des forces armées allemandes s'élevaient au total à 10 300 000 hommes, soit à peu près le même chiffre qu'en 1942. La Wehrmacht restait donc une armée puissante, bien équipée et capable d'affronter de durs combats.

Il est évident que la situation de l'Allemagne se trouvait facilitée du fait qu'aucun second front n'avait encore été ouvert en Europe et son haut commandement profita de l'avantage ainsi offert pour transférer de plus en plus d'unités et de formations sur le front de l'Est. C'est ainsi que 196 des meilleures divisions allemandes (soit les deux tiers de l'armée) purent combattre en compagnie des 32 divisions et 8 brigades fournies par les alliés du Reich, avec quelque 56 200 canons et mortiers, 5 800 chars et canons d'assaut et 3 000 avions.

 

« Un phare que le monde verra s'illuminer »

Le front germano-soviétique restait le plus important de la guerre, si l'on considère que, à la même époque, sept divisions et deux brigades seulement (2,7 %, des forces allemandes) se trouvaient engagées face aux Américains et aux Britanniques. Le reste ( 91 divisions et 3 brigades ) était cantonnées dans les territoires occupés.

Les Allemands décidèrent de porter leur effort sur un étroit secteur qu'on appelait le « saillant de Koursk » et qui avait été créé au cours de l'offensive soviétique de printemps en 1943. La forme même du front dans ce secteur favorisait cette décision. En effet, les forces allemandes concentrées dans les zones d'Orel et de Bielgorod menaçaient les flancs et les arrières des troupes russes placées à l'intérieur du saillant. De même, ce saillant, enfoncé profondément au coeur des défenses allemandes, était de la plus grande importance pour les Russes puisque ceux-ci, à leur tour, pouvaient l'utiliser pour frapper sur les flancs respectifs des forces allemandes d'Orel et de Bielgorod.

Dès la fin de l'hiver, les Allemands préparèrent leur plan dans le moindre détail. Hitler donna, le 15 avril 1943, l'ordre d'attaquer sur le saillant de Koursk (opération « Citadelle »). Il était précisé : « Cette offensive revêt une importance capitale. Elle doit se conclure par un succès décisif et rapide [...]. Dans la direction de l'effort principal, seront utilisés le meilleur matériel, les meilleures troupes, les meilleurs chefs et les plus grandes quantités de munitions. A chaque échelon, tour les chefs, tous les soldats devront avoir été convaincus à fond de l'importance primordiale de cette offensive. La victoire de Koursk doit être un phare que le monde entier verra s'illuminer. »

En application des plans de l'opération « Citadelle »», l'effort principal à faire porter sur les forces soviétiques devait être double et venir du sud d'Orel, avec la IXe armée du groupe d'armées Centre, en même temps que du nord de Kharkov, avec la IVe armée blindée et le groupement tactique « Kempff », du groupe d'armées Sud. En dirigeant l'action sur Koursk, le haut commandement allemand comptait encercler et détruire les forces des fronts de Voronej et du Centre qui défendaient le saillant, raccourcir le front et, si l'opération était couronnée de succès, développer leur offensive sur les arrières du front du Sud-Ouest (opération Panthère). Ils n'écartaient même pas la possibilité d'une action consécutive vers le nord-est, pour tourner Moscou et prendre à revers la totalité des forces soviétiques au centre du front.

En face des fronts de Voronej et du Centre, les Allemands avaient concentré d'énormes forces : les effectifs se montaient à 50 divisions, dont 16 étaient blindées ou motorisées, soit près de 900000 hommes avec quelque 10000 canons et mortiers et 2 700 chars. Une force additionnelle de 20 divisions se trouvait sur l'aile de la force principale, prête à intervenir pour appuyer les troupes d'assaut. C’était donc 70 divisions que les Allemands avaient à leur disposition pour la mission prescrite, plus du tiers de toutes les forces allemandes du front de l'Est, et dont à peu près le quart était constitué de panzers ou de divisions motorisées. Une flotte de plus de 2 000 appareils fournirait l'appui aérien. L'élite de la Luftwaffe se trouvait sur place : le groupe de chasse 51 (« Môlders »), la légion « Condor »et bien d'autres.

Étant donné l'importance attachée à une telle opération, l’O.K.H., état-major général de l'armée de terre, étudia et modifia plusieurs fois le plan « Citadelle »», Hitler ayant dit à plusieurs reprises qu' « il ne fallait absolument pas échouer »». Les divisions qui devaient prendre part à l'offensive furent mises au repos et complétées au maximum de leurs tableaux d'effectifs en hommes et en matériel. On accorda une attention particulière au terrain et au système défensif des Soviétiques à l'intérieur du saillant. D'après le général allemand Mellenthin, chaque mètre carré en avait été photographié d'avion. Comme il l'écrit dans son livre Batailles de panzers, 1939-1945, « aucune offensive n'avait jamais été préparée avec plus de soin que celle-là ». Grâce à un excellent service de renseignements

L'entraînement, lui, avait été rendu aussi réaliste que possible ; les tirs pratiques et les exercices tactiques s'étaient succédés régulièrement. En avril, le général Guderian, à l'époque inspecteur général des blindés, avait inspecté les unités de panzers. Ainsi que devait l'écrire plus tard l'un des membres de l'état-major de l'O.K.W., le général Erfurth, « tout le potentiel offensif que l'Allemagne avait pu rassembler fut jeté dans l'opération Citadelle ». II est bien vrai que l'impossible fut fait pour gagner la bataille de Koursk.

Après les batailles d'hiver de la saison 1942-1943, l'armée Rouge s'était, de son côté, préparée en vue d'une grande offensive d'été. Bientôt, cependant, il vint à la connaissance des Russes que les Allemands préparaient une offensive décisive sur le front de l'Est. Grâce à un excellent service de renseignements, le haut commandement soviétique fut en mesure de reconstituer non seulement la conception d'ensemble et la direction générale des efforts principaux des forces allemandes, mais encore l'exacte composition de celles-ci, leurs positions, leurs ressources, la date de leur mise en place et, ce qui en découlait naturellement, le moment où l'offensive serait déclenchée.

Quand ils eurent analysé les plans allemands, les Soviétiques décidèrent de se tenir résolument sur la défensive dans le saillant, d'épuiser l'ennemi par une succession de combats sur des positions préparées et de parachever la destruction des forces de choc de l'Axe au cours de contre-offensives dans les zones d'Orel et de Bielgorod. Si cette dernière action se déroulait de façon satisfaisante, elle se transformerait en une offensive soviétique générale sur un immense front pour bousculer le prétendu « rempart oriental » de l'Axe, tout en liquidant la tête de pont du Kouban.

La défense effective du saillant de Koursk avait été confiée au front du Centre (général Rokossovski) et au front de Voronej (général Vatoutine). Ayant bien présent à l'esprit le fait que l'ennemi préparait une offensive très importante et lourde de conséquences dans ses prolongements possibles, la STAVKA rassembla de grandes réserves dans la région du saillant et les groupa en un même front de réserve (plus tard appelé front de la Steppe), dont le commandement fut attribué au général Koniev. Les forces de ce front - en fait, réserve générale de la STAVKA - étaient destinées à renforcer les deux fronts, du Centre et de Voronej, dans les secteurs sur lesquels ils seraient le plus menacés, à installer un solide front défensif à l'est de Koursk, enfin à participer à la contre-offensive une fois l'ennemi repoussé et saigné à blanc.- Sur place, la coordination des fronts était à la charge du représentant du haut commandement; le maréchal Joukov, et du chef d'état-major général, le maréchal Vassilievski.

Des mesures méticuleuses furent prises pour écarter l'éventualité d'une percée du front par l'ennemi. Les lignes furent renforcées de nombreux canons, chars et avions, les plus grandes concentrations étant effectuées sur les axes qui semblaient les plus probables pour l'attaque. C'est ainsi que, sur le secteur tenu par la XIIIe armée, qui couvrait l'axe le plus exposé, le long de la voie ferrée Orel-Koursk, la moitié presque des régiments d'artillerie de la réserve générale affectée au front furent installés. On dota encore cette armée du 4e corps d'artillerie d'assaut avec ses 484 canons, ses 216 mortiers et ses 432 lance-roquettes de campagne. On avait rassemblé là de quoi constituer une défense d'artillerie à peu près jamais réalisée auparavant : quelque 96 canons et mortiers d'un calibre supérieur à 76 par kilomètre de front, soit une fois et demie plus que la densité obtenue par les Allemands dans l'offensive qu'ils montaient.

Sur les secteurs tenus par les Vle et VIIe armées de la Garde du front de Voronej, se trouvaient 67% des canons et mortiers du front et 70% de l'artillerie de réserve du haut commandement. Le système de défense soviétique dans le saillant était puissamment articulé en profondeur, doté d'armes jusqu'à saturation, solidement installé dans des tranchées bien organisées et bénéficiait de surcroît d'un grand nombre d'obstacles artificiels (barbelés, mines, etc.).

Comme les Allemands comptaient sur l'emploi massif des chars pour enlever la décision, les commandants de front accordèrent un soin tout particulier aux défenses antichars, qu'ils conçurent sous la forme de solides nids de résistance complétés par un réseau de champs de mines. Les réserves d'artillerie avaient été affectées et entraînées en conséquence, de même que les détachements mobiles de résistance, le tout en temps voulu. D'une façon générale, les nids de résistance disposaient des dotations suivantes : de 3 à 5 canons chacun, jusqu'à 5 armes antichars, de 2 à 5 mortiers, un nombre de sapeurs oscillant entre un groupe et une section et un groupe équipé de mitraillettes. Sur les axes les plus importants, les nids de résistance antichars avaient jusqu'à 12 canons chacun. On n'avait pas lésiné sur le personnel, pas plus que sur le matériel.

L'articulation en profondeur des deux fronts du Centre et de Voronej sur les axes probables d'attaque atteignait 150 à 180 kilomètres. Si l'on compte la ligne de défense du front de la Steppe et celle bordant le Don, on arrive à 250 et même 290 kilomètres, comprenant huit lignes de positions renforcées successives qui attendaient l'ennemi. Pour donner une idée de l'étendue des travaux effectués pendant cette période préparatoire, il suffit de mentionner que, dans le secteur du seul front du Centre, plus de 4 000 kilomètres de tranchées et de boyaux de communication furent creusés, ce qui représente approximativement la distance de Moscou à Irkoutsk. Sur le même front, les sapeurs avaient posé 400 000 mines et bombes, et la densité moyenne des champs de mines sur les fronts du Centre et de Voronej atteignait 1500 mines antichars et 1680 mines antipersonnel, soit six fois plus que pour la défense de Moscou et quatre fois plus que pour celle de Stalingrad.

Les défenses antiaériennes, elles aussi, avaient été préparées avec soin. Neuf divisions d'artillerie antiaérienne, 40 régiments, 17 batteries, 10 trains blindés, 2 divisions de chasseurs de la « défense aérienne du territoire » avaient été rassemblées dans le saillant. Enfin, plus d'un quart des mitrailleuses lourdes et légères et des armes antichars de la principale ligne fortifiée et près de la moitié pour les autres lignes avaient été affectées à la D.C.A.

Une lourde responsabilité reposait sur les forces aériennes tactiques, qui avaient reçu mission de coopérer avec les unités à terre pour repousser l'attaque allemande et assurer la supériorité aérienne. Et alors même que la préparation n'était pas achevée, les flottes aériennes avaient déjà lancé une série d'attaques contre l'ennemi, sur ses aérodromes, ses noeuds ferroviaires et ses concentrations de troupes.

Tout le personnel avait reçu un entraînement intensif en vue de la bataille qui se préparait : la priorité avait été donnée à la résistance aux attaques des chars et de l'aviation, ainsi qu'aux contre-attaques à mener contre un ennemi qui aurait percé nos défenses. Les conseils militaires des groupes d'armées, le commandement aux différents échelons, les organes politiques, le parti communiste et les organisations de jeunesse entreprirent tous un effort intensif pour soutenir le moral des troupes et leur apporter de meilleures conditions matérielles. On organisa pour ces troupes des discussions sur des sujets variés, sans oublier les divers moyens de s'opposer aux nouveaux chars ennemis.

 

Les tranchées des ménagères

La population civile des régions intéressées de Koursk, Orel, Voronej et Kharkov apporta son active contribution aux forces armées dans la préparation de la bataille. Dès avril 1943, quelque 105 000 personnes de la région de Koursk - travailleurs agricoles des fermes collectives, employés de bureau, ménagères - étaient déjà réquisitionnées pour la, construction des travaux de défense; au mois de juin, elles étaient 300000. Des travailleurs des régions libérées fournirent une aide inestimable en construisant une voie ferrée, de Stary Oskol à Rjava, dont la nécessité était vitale pour le ravitaillement du front de Voronej.

Au cours des trois mois que dura la préparation, les travailleurs des régions proches des lignes creusèrent des milliers de kilomètres de tranchées dans le saillant, et c'est avec leur aide que 250 ponts et plus de 2 500 kilomètres de routes et de pistes purent être remis en état.

Au moment du déclenchement des opérations, une imposante force soviétique était en place dans le saillant. Sur un secteur long de 550 kilomètres ( 13 % de la totalité du front de l'Est), l'armée Rouge avait concentré plus de 20 % de ses forces, près de 20 % de son artillerie, environ 36 % de ses chars et canons automoteurs et plus de 27 % de ses avions.

Contrairement à ce qui s'était passé à Stalingrad et à Moscou, les forces soviétiques, dans le saillant de Koursk, disposaient d'une légère supériorité numérique dans la proportion de 7 contre 5 pour les hommes, de presque 2 contre 1 pour les canons et les mortiers et de 4 contre 3 pour les chars et canons automoteurs; quant aux avions, le rapport était de 6 contre 5. Néanmoins, comme les Allemands escomptaient une rapide percée, ils avaient concentré la plus grande partie de leurs panzers et de leurs divisions motorisées sur les premières lignes, si bien que si l'on considère le seul secteur du front où devait se produire l'effort principal, ils étaient un peu plus nombreux que les Soviétiques : plus de 2 contre 1 en chars, presque autant en hommes. Sur le secteur de la VIe armée de la Garde (front de Voronej), la supériorité allemande était de presque 2 contre 1 en hommes et de 6 contre 1 en chars. Le haut commandement allemand s'attendait donc à enfoncer facilement la défense soviétique dès le premier coup porté par les panzers dotés d'un puissant appui aérien.

La nuit qui précéda l'attaque, sur tout le front, une proclamation de Hitler fut lue aux troupes : « Demain, disait-il, vous allez participer à de grandes batailles offensives dont l'issue doit décider du sort de la guerre. Par votre victoire, vous prouverez au reste du monde que, plus que jamais, toute résistance aux armées allemandes est vouée, inévitablement, à l'échec. »

Mais l'offensive allemande ne s'est pas déroulée de la façon dont les dirigeants du Reich l'avaient escompté. Leurs prévisions n'étaient pas fondées et, surtout, ils avaient été loin de surprendre les Russes. Déjà, dès le 2 juillet 1943, la STAVKA, informée par les services de renseignements soviétiques, avait été en mesure d'avertir le commandant du front de Voronej et celui du front du Centre que l'offensive ennemie serait vraisemblablement lancée entre le 3 et le 6 juillet, et avait recommandé vigilance et promptitude dans la riposte. De plus, il faut bien le dire, des prisonniers faits le 4 juillet avaient dévoilé que l'offensive des groupes de choc avait été fixée à l'aube du 5 et que les unités avaient déjà pris place sur leurs lignes de départ.

 

Une tempête de feu

Le commandement soviétique décida donc de lancer une puissante contre-préparation d'artillerie et d'aviation. Le principal objectif du gros de l'artillerie du front du Centre était naturellement constitué par les batteries ennemies. Le front de Voronej, pour sa part, s'en prit également aux batteries qui lui faisaient face et manifestaient de l'activité, mais il dirigea aussi son tir contre les chars et l'infanterie qui se préparaient à l'attaque.

Le 5 juillet, à 2 h 20, des centaines de canons soviétiques lancèrent une tempête de feu sur les positions ennemies. Le calme des premiers jours de juillet était maintenant bien fini.

Provoquant des pertes en hommes et en matériel, le contre bombardement affecta aussi le moral des Allemands. Ils commencèrent à comprendre que leurs plans étaient connus, qu'il n'était plus question d'effet de surprise et que les Russes les attendaient de pied ferme. II fallut retarder l'offensive d'une heure et demie à deux heures afin de réorganiser les unités. En fait, le contre bombardement ne pouvait pas, à lui seul, disloquer l'attaque, ni au nord ni au sud du saillant. Voici donc comment les événements se succédèrent :

Sur la ligne Orel-Koursk, la IXe armée allemande (général Model) commença sa préparation d'artillerie à 4 h 30, avec 90 minutes de retard sur l'horaire prévu, puis de nombreux bombardiers décollèrent à 5 h 10. Sous cette couverture d'artillerie et d'aviation, les chars et l'infanterie passèrent à l'attaque sur un front de 40 kilomètres. Il était 5 h 30. L'action principale était dirigée contre la Xllle armée russe général Poukhov) et les XLVIIIe et LXXe armées à droite et à gauche de la précédente. Trois divisions de panzers et cinq d'infanterie furent alors jetées dans la bataille, tandis que la plus forte poussée avait lieu contre le flanc gauche de la XIIIe armée, en direction d'Olkhovatka, où la défense était assurée par les 15e (colonel Djangava) et 81e (général Barinov) divisions de fusiliers.

Quelque 500 chars allemands attaquèrent sur l'axe de l'effort principal : des « Tigre » et des « Ferdinand », par groupe de dix à quinze pour le premier échelon, des chars moyens en deuxième échelon, par groupes de cinquante à cent. L'infanterie suivait. Dans les airs, près de 300 bombardiers, par groupes de cinquante à cent, s'acharnaient en même temps sur la XIIIe armée.

Le commandement soviétique affecta le gros de la XVIe armée aérienne (général Roudenko) à l'appui de la XIIIe armée. Ce fut, aussi bien au sol que dans les airs, une terrible bataille. Quatre fois les Allemands tentèrent de percer au cours de 1a journée. Quatre fois ils échouèrent. Les Russes se battaient avec une farouche résolution, s'accrochaient à chaque parcelle de terrain, tenaient le plus longtemps possible et passaient ensuite à leur tour à la contre-attaque. Au prix d'efforts démesurés et de très lourdes pertes, les Allemands parvinrent à enfoncer la ligne de défense principale de la XIIIe armée.
Au cours des combats des 5 et 6 juillet, ils avancèrent de dix kilomètres, mais ils avaient laissé sur le terrain 25 t)00 tués et blessés, 200 chars et canons automoteurs, plus de 200 avions et une bonne partie de leur artillerie et de leur matériel. De plus, presque tous les régiments allemands perdirent une grande partie de leurs officiers. Par exemple, le 195e régiment de la 78e division d'infanterie (23e corps) eut tous ses commandants de compagnie hors de combat en deux jours.

 

Les chars allemands ne sont pas passés

Après leur échec sur Olkhovatka, les Allemands décidèrent que leur objectif principal, le 7 juillet, serait constitué par Ponyri, à la jonction des voies ferrées de Koursk et d'Orel, et de durs combats ensanglantèrent le secteur. Les troupes soviétiques qui tenaient cette zone purent porter de rudes coups à l'ennemi au cours de son avance. Ce jour-là, les Allemands se lancèrent cinq fois à l'attaque et chaque fois furent repoussés par les troupes du général Yenchine (307e division de fusiliers) qui défendirent Ponyri avec un héroïsme comparable à celui dont firent preuve les équipages de chars, les artilleurs et les sapeurs qui minaient les routes au fur et à mesure de l'avance des blindés allemands. Au matin du 8 juillet, 300 chars ennemis environ, appuyés par des fantassins armés de mitraillettes, attaquèrent les positions tenues par le colonel Roukossouiev (3e brigade antichars).

Les artilleurs soviétiques n'ouvrirent le feu que lorsque les blindés ennemis furent à 700 mètres environ et en détruisirent dix-sept. Mais il ne restait plus qu'un seul canon et trois servants. Les Allemands accentuèrent leur pression ; bientôt, ils eurent perdu deux chars de plus et furent forcés de se retirer. Mais il n'y avait plus de batterie : les derniers survivants avaient été tués par un coup direct. Trois heures plus tard, les Allemands revenaient à l'assaut.
La situation était devenue si critique que le commandant de la brigade envoya ce message à l'armée : « 1re et 7e batterie anéanties. Je fais donner mes dernières réserves (la 2e batterie). Demande instamment munitions. Nous tiendrons ou nous mourrons. » Dans cet engagement inégal, presque tout un régiment fut détruit, mais les chars allemands n'étaient pas passés !

Le 10 juillet, les Allemands avaient engagé la quasi-totalité de leur force d'attaque mais avaient échoué dans leur mission d'enfoncer le front soviétique et d'anéantir l'armée Rouge au nord de Koursk. Les chars et l'infanterie ennemis marquaient le pas et, ce faisant, subissaient des pertes considérables. Sur l'axe principal de leur attaque, ils n'avaient avancé que de dix kilomètres, et la IXe armée, ayant perdu près des deux tiers de ses chars, fut contrainte de passer à la défensive. Pendant ce temps, le front soviétique du Centre, une fois l'assaut ennemi brisé et Koursk dégagé par le nord, se préparait à la contre-attaque.

Au sud, les Allemands n'eurent guère plus de succès. Là encore, ils lancèrent à l'attaque d'importantes forces le premier jour: quatorze divisions (5 d'infanterie, 8 de panzers et une motorisée) du groupe d'armées Sud du maréchal von Manstein. L'effort principal était dirigé contre le secteur tenu par la VIe armée de la Garde (général Tchistiakov) et mené par la IVe armée blindée commandée par le général Hoth. Il visait Oboïan. De son côté, le 3e corps blindé du groupe « Kempff » procédait à une attaque secondaire en direction de Korotcha, contre la VIIe armée de la Garde, aux ordres du général Choumilov. On comptait à peu près 700 chars dans l'attaque principale du premier jour de l'offensive, les divisions étant fortement appuyées par l'aviation (on a pu observer environ 2000 sorties sur le front de Voronej).

Les 52e et 67e divisions de fusiliers de la VIe armée de la Garde eurent à soutenir un choc d'une violence inouïe et leur résistance, tout comme celle de la VIIe armée de la Garde, fut si opiniâtre que l'ennemi se vit dans l'obligation d'engager toutes les réserves de la IVe armée blindée et du groupe tactique Kempff » au cours du premier jour.

Le commandement du front de Voronej décida de protéger au maximum Oboïan et, dans la nuit du S au 6, des unités de la Ire armée blindée (général Katoukov) et des 2e et Se corps blindés de la Garde (du front de réserve) vinrent prendre position sur la deuxième ligne défensive, tandis que la VIe armée de la Garde était renforcée en artillerie antichar.

Au matin du 6, ce fut une nouvelle attaque allemande qui déclencha des combats très meurtriers. Le général Popel, membre du conseil militaire de la Ire armée de la Garde, devait écrire par la suite dans ses Mémoires : « Je pense que ni moi ni aucun des autres officiers présents n'avions vu tant de chars ennemis réunis pour une seule action. On aurait dit une charge de cavalerie sur laquelle Hoth aurait tout misé. Pour chacune de nos compagnies, forte de 10 chars, les Allemands alignaient 30 à 40 blindés. Hoth savait bien que rien n'était trop cher, quels que fussent les pertes et les sacrifices, pour s'ouvrir la route de Koursk. »

Au soir de la deuxième journée, l'attaque ennemie en direction d'Oboïan avait enfoncé la ligne principale de défense au centre du front tenu par la VIe armée de la Garde et s'était approchée de la deuxième ligne, sur laquelle les divisions soviétiques s'étaient repliées. Là, les Allemands furent arrêtés par les corps blindés. La plupart des chars avaient été enterrés et constituaient maintenant autant de nids dont fantassins et artilleurs se servaient comme de remparts pour bâtir une impressionnante barrière de feu. L'attaque allemande sur Korotcha ne fut pas plus payante que les autres.

Les avions soviétiques apportèrent un soutien efficace aux défenseurs, tant en s'attaquant aux chars et à l'infanterie de l'ennemi qu'en disputant la maîtrise du ciel à la Luftwaffe. Le lieutenant Gorovets établit une sorte de record en abattant neuf avions ennemis au cours du même engagement, mais lui même fut tué.

 

La fine fleur des S.S.

N'ayant pas réussi à emporter la décision dans le secteur d'Oboïan, les Allemands firent alors porter leur effort principal sur Prokhorovka, afin de tourner Koursk par le sud-est. Là, ils jetèrent dans la bagarre la fine fleur de la Waffen S.S. des panzers conduite par les généraux les plus expérimentés. Ils pensaient qu'ils finiraient par trouver la victoire. Ils avaient rassemblé dans ce secteur 700 chars et canons d'assaut, dont une centaine étaient des « Tigre », tandis que le groupe tactique a Kempff », avec ses 300 chars, montait une attaque secondaire également sur Prokhorovka, mais venant du sud.
Le commandant du front de Voronej, en accord avec la STAVKA, décida de monter une contre-offensive d'envergure contre le coin enfoncé par les Allemands. Le rôle principal dans l'opération fut confié aux deux armées qui provenaient de la réserve de la STAVKA, la Ve de la Garde (général Jadov) et la Ve blindée de la Garde (général Rotmistrov), appuyées par la IIe armée aérienne (général Krassovski), une partie de la XVIIe (général Soudets) et des unités de la force aérienne de bombardement à long rayon d'action.

Le 12 juillet, dans la plaine de Prokhorovka, se déroula la plus grande bataille de chars de ta guerre. Au petit matin, dans un espace relativement restreint, au milieu de noirs nuages de poussière et de fumée, deux masses impressionnantes de blindés - au total 1 500 engins s'avancèrent l'une vers l'autre pour s'affronter. Le général Rotmistrov, en rappelant l'histoire de cette bataille, fait remarquer que c'est l'avant-garde de la Ve armée blindée de la Garde, son armée, qui enfonça les lignes allemandes à toute vitesse.

Ce fut une belle mêlée. Au milieu de cet enchevêtrement de chars, les canonniers des engins soviétiques tiraient à bout portant sur les « Tigre ». Du champ de bataille s'élevait un fracas assourdissant de moteurs qui rugissaient, de métal qui s'entrechoquait et de canons qui crachaient, tandis que cette scène dantesque se trouvait éclairée par les flammes qui dévoraient chars et canons automoteurs. L'affrontement se poursuivit, impitoyable, tard dans la soirée. Les Russes avaient fait preuve d'un courage extraordinaire. Une fois de plus, l'ennemi n'avait pas pu s'ouvrir la route de Koursk.

Au cours de cette seule journée, les Allemands avaient perdu plus de 350 chars, plus de 10 000 officiers et soldats, pour une progression de 30 à 40 kilomètres. Cette journée du 12 juillet marque d'ailleurs un tournant dans la guerre, car c'est ce jour-là que les fronts soviétiques de Briansk et de l'Ouest déclenchèrent leur offensive contre les troupes ennemies de la région d'Orel. Les forces allemandes connurent alors des heures critiques car elles furent contraintes de passer à la défensive au sud de Koursk et de commencer à décrocher vers leurs positions de départ. Le 16, le gros des unités de la Wehrmacht entama sa retraite, protégé par une forte arrière-garde, tandis que les troupes du front de Voronej se lançaient à leur poursuite, suivies, le 19, par celles du front de la Steppe. Au 23 juillet, les Allemands se retrouvèrent sur les positions mêmes qu'ils avaient quittées le 4. Leur troisième grande offensive à l'est se soldait par un échec.

En résumé, à l'issue de cette offensive, on peut dire que les troupes soviétiques avaient magnifiquement rempli la mission qui leur avait été assignée. Pour les Allemands, épuisés, saignés à blanc, la roue de la Fortune avait tourné : l'armée Rouge venait de prendre l'avantage. L'opération « Citadelle », préparée avec tant de minutie et de patience, et sur laquelle les nazis comptaient pour reprendre l'initiative, avait abouti finalement à un revers cuisant.

 

260 canons au kilomètre

Déjà, au cours de la bataille, les Soviétiques s'étaient penchés sur le problème du déroulement de la contre-offensive qui allait suivre. L'idée générale de l'opération d'Orel avait été arrêtée : il s'agissait de désarticuler les défenses ennemies au moyen d'un certain nombre d'actions convergentes, puis d'anéantir, une par une, les unités isolées. Les actions envisagées étaient au nombre de quatre

• Par le front de l'Ouest (général Sokolovski), en direction de Bolkhov et de Khotinetz, de façon à couper l'ennemi dans le saillant d'Orel;

• Par le front du Centre, en direction de Kromy, afin d'opérer la jonction avec le front de l'Ouest;

• Par le front de Briansk (général Popov), double action en direction de la région de Novossil, pour déborder Orel à la fois par le nord et par le sud.

Dans la tête de pont d'Orel, les forces allemandes comprenaient 27 divisions d'infanterie, 8 de panzers et deux divisions motorisées des lie et IXe armées du groupe d'armées Centre, au total 600 000 hommes, 6 000 canons et mortiers, environ 1000 chars et canons automoteurs. Enfin plus de 1 000 avions de combat étaient disponibles pour les appuyer. Le secteur était bien fortifié et c'est seulement (e long de l'étroite bande de terrain par laquelle ils avaient lancé leur attaque et pénétré dans tes lignes soviétiques que les farces de première ligne allemandes n'avaient pas préparé de position. Sur le secteur face à l'aile gauche du front de l'Ouest et à la droite et au centre du front de Briansk, jusqu'à la région de Novossil, la construction de positions défensives avait été commencée plus d'un an auparavant, en mars 1942. Plus au sud, en face de l'aile gauche du front de Briansk et du milieu du front du Centre, les travaux avaient été entrepris à la fin de mars 1943.

En raison de l'importance qu'ils accordaient à Orel, les Allemands avaient installé dans cette ville un solide réseau de défenses avec un système très développé de fortifications protégées par des obstacles. En profondeur du système défensif se trouvaient de nombreuses lignes successives avec secteurs fortifiés, principalement le long des cours d'eau. La plupart des villages avaient été installés en hérissons. Les lignes de défense établies à l'avance et le grand nombre de cours d'eau qui les doublaient constituaient de sérieux obstacles pour l'offensive soviétique. C'était du reste la première fois que les troupes russes se trouvaient en présence d'une organisation défensive aussi perfectionnée et aussi puissante. L'enfoncer allait exiger une grande habileté, un moral solide et beaucoup de mordant. Le commandement soviétique décida donc d'attaquer en profondeur et fournit aux troupes chargées de cette mission de puissants moyens en artillerie. II est intéressant de remarquer ici que, pour la première fois depuis le début de la guerre, une densité d'artillerie de 260 canons et mortiers au kilomètre avait été atteinte dans le secteur de la XIe armée de la Garde du front de l'Ouest (général Bagramian).

La préparation de la contre-offensive exigea de prêter la plus grande attention au ravitaillement en munitions et en carburant, de même qu'à l'entraînement des troupes en vue d'enfoncer des positions défensives permanentes. Les chefs d'unité et les dirigeants politiques avaient veillé à ce que chaque soldat fût bien conscient de la mission particulière dont était chargée son unité. Dans les batteries, dans les compagnies, sur le front, de très nombreuses réunions avaient été organisées à cet effet par le parti et les Komsomols.

Au début des opérations dans le secteur d'Orel, la supériorité soviétique était de l'ordre de 2 contre 1 pour les hommes, de 3 contre 1 pour les canons, de 7 contre 3 pour les chars et de 3 contre I pour les avions. En manoeuvrant avec audace, cette supériorité fut encore accrue dans les secteurs prévus pour la percée.

Le 12 juillet, à la suite d'une intense préparation d'artillerie et de bombardement aérien, l'aile gauche du front de l'Ouest et ta totalité des forces du front de Briansk se mirent en marche tandis que les Allemands, dans le secteur Bielgorod-Kharkov, tentaient encore de percer la face sud du saillant et que la IXe armée se préparait à reprendre son action sur Koursk par le nord.

Au soir du 13, la XIe armée de la Garde avait enfoncé les positions ennemies, à la suite d'un combat acharné, sur un front de 20 kilomètres. De leur côté, les troupes d'assaut du front de Briansk, avec la LXIe armée (général Belov) en avait fait de même sur un front de 10 kilomètres.

Quant à la Ille armée (général Gorbatov) et à la LXIIIe armée (général Kolpaktchi), elles s'étaient enfoncées dans les lignes sur une quinzaine de kilomètres. Mais les troupes soviétiques se trouvaient encore en face d'une défense organisée et avaient de durs combats en perspective pour venir à bout des innombrables nids de résistance qui s'échelonnaient en profondeur dans le système défensif ennemi.

 

Le « lion de la défense » rugit

L'offensive de la IIe armée blindée avait forcé les Allemands, dès le premier jour, à rameuter des réserves vers les secteurs menacés. En même temps, les commandements des lie armée blindée et IXe armée avaient été réunis et placés entre les mains d'un seul responsable, le général Model, connu dans l'armée allemande sous le nom de « Lion de la défense ». En prenant son commandement, le 14 juillet, il envoya aussitôt une instruction à la lie armée blindée, instruction dans laquelle il disait : - L'armée Rouge vient de lancer une offensive sur l'ensemble du saillant d'Orel. Nous allons engager une bataille qui peut décider de tout. A cette heure, qui exige de chacun le plus grand des efforts, je viens de prendre le commandement de votre armée qui a fait ses preuves au combat. » D'autres ordres suivirent, impératifs : les troupes devaient absolument arrêter les formations soviétiques et tenir jusqu'au dernier homme, quoi qu'il arriva.

Mais les instructions d'un général ne pouvaient suffire à enrayer l'offensive victorieuse de l'armée Rouge, pas plus que de simples ordres n'étaient capables de maintenir au coeur des soldats allemands la foi en la victoire du IIIe Reich.

Ceux-ci ne pouvaient s'empêcher d'évoquer la mémoire de leurs compatriotes tombés à Moscou, à Stalingrad, à Ponyri, à Prokhorovka. Ainsi, en dépit des renforts considérables venus de tous les autres secteurs du front pour soutenir le saillant d'Orel, la contre-offensive soviétique se poursuivit.

Le 19 juillet, la XIe armée de la Garde qui avait maintenant pris l'initiative - avait percé le front sur une profondeur de 70 kilomètres et le gros de ses forces poussait au sud en direction de Khotinetz. Les forces du front de Briansk, elles, avaient triomphé de la résistance allemande, enfoncé plusieurs lignes de défense intermédiaires et, le 17 juillet, elles ouvrirent une brèche de 30 kilomètres de large et de 20 kilomètres de profondeur. La Luftwaffe redoublait d'activité pour arrêter l'armée Rouge, mais les pilotes soviétiques leur rendaient la pareille.

L'escadrille française « Normandie » combattait au coude à coude avec les aviateurs soviétiques et ses pilotes montraient les plus belles qualités de courage, d'adresse et de détermination dans la lutte qui les opposait à la Luftwaffe.

En attirant de nombreuses forces allemandes de la région d'Orel loin du saillant de Koursk, l'offensive des fronts de Briansk et de l'Ouest avait créé une situation des plus favorables pour le front du Centre. Celui-ci en avait terminé avec ses concentrations de troupes le 14 juillet et passait à l'attaque le 15. Le 18 juillet, son aile droite avait complètement liquidé le coin allemand enfoncé dans les défenses soviétiques en direction de Koursk, réoccupé son front précédent et elle était prête à attaquer Kromy.

Les combats devenaient de plus en plus âpres et la STAVKA décida d'accentuer la supériorité des forces soviétiques. Le front de l'Ouest reçut ainsi l'ordre d'engager dans la bataille la IVe armée blindée (général Badanov), la XIe armée (général Fediouninski) et le 2e corps de cavalerie de la Garde, qui étaient en réserve, et le front de Briansk d'y lancer la Ille armée blindée de la Garde (général Ribalko).

Ces réserves se trouvaient loin en arrière. Pour les amener sur les lieux des combats, il fallut surmonter de nombreux obstacles auxquels vint encore s'ajouter une pluie torrentielle qui inonda les routes. La LXIe armée (front de Briansk) et les XIe armée de la Garde et IVe armée blindée (front de l'Ouest) libérèrent Bolkhov, le 29 juillet, et continuèrent leur avance vers Orel par le nord, menaçant les communications de l'ennemi entre Orel et Briansk. Au même moment, les forces du front de Briansk débordèrent largement le flanc ennemi dans la région de Mtsensk, le forçant à se replier. Le front de Briansk, cependant, n'avait pas interrompu sa progression sur Orel, qu'il abordait de l'est. De jour en jour, la situation de l'ennemi s'aggravait et le général Model demanda à Hitler la permission de se retirer de la tête de pont d'Orel, lui annonçant, assez mal à l'aise, qu'il fallait éviter « un autre Stalingrad ».

En raison de la gravité de la situation sur l'ensemble du front de l'Est et en particulier du danger mortel menaçant ses forces à Orel, le haut commandement allemand s'était déjà résigné, dès le 26 juillet, à abandonner toute la zone d'Orel et à ramener ses troupes sur la a ligne Hagen » (positions défensives installées à l'est de Briansk) au cours d'une retraite organisée, utilisant des positions intermédiaires, entre le 31 juillet et le 17 août. C'est sur une profondeur de près de 100 kilomètres que le terrain avait été dégagé, permettant ainsi à plus de vingt divisions de renforcer le front et de s'opposer aux offensives soviétiques en s'accrochant sur la nouvelle ligne de défense, considérablement réduite.

Les Allemands, soucieux d'assurer un repli méthodique depuis la pointe de leur saillant d'Orel, avaient pris toutes les précautions voulues pour en protéger les flancs, mais leurs plans furent déjoués par les attaques soviétiques. Le maréchal von Kluge, commandant du groupe d'armées Centre, dans l'estimation des forces en présence dans ce secteur, écrivait : « L'état-major du groupe d'armées est pleinement conscient du fait que ses intentions premières de harceler l'ennemi le plus souvent possible au cours du repli sont aujourd'hui irréalisables en raison de l'état d'extrême fatigue de nos troupes et de la réduction sensible de leur potentiel de combat. Le problème, maintenant, c'est de décrocher vite du saillant d'Orel, le plus vite possible. » Dans la nuit du 3 au 4 août, les unités de tête des IIIe et LXIIIe armées soviétiques s'étaient ruées sur Orel et, le 5, la ville avait été complètement débarrassée des Allemands.

 

Salves pour l'armée Rouge

Les 5e, 129e et 380e divisions de fusiliers, la l7e brigade blindée de la Garde et un certain nombre d'unités des forces aériennes, qui s'étaient spécialement distinguées au cours des combats pour Orel, furent autorisées à porter le nom de la bataille à titre de récompense. A Moscou, le 5 août au soir, des salves d'honneur furent tirées pour la première fois, pour célébrer les combattants qui avaient libéré Orel et Bielgorod. De ce jour date la coutume de saluer à Moscou par des salves les victoires de l'armée Rouge.

Au 5 août, les forces du front du Centre approchaient de l'important noeud routier de Kromy, où se trouvait la base de ravitaillement de l'ennemi. Au 18 août, le front de Briansk et l'aile droite du front du Centre étaient arrivés au contact de la ligne de défense allemande où l'ennemi s'était retranché. Le saillant d'Orel était nettoyé et les forces allemandes qui s'y trouvaient, au lieu de partir à la conquête de Koursk comme prévu, avaient subi une défaite totale.

L'activité des partisans russes avait contribué au succès d'Orel. Entre le 21 juin et le 3 août seulement, ceux de la région d'Orel avaient fait sauter plus de 10000 rails, et paralysé ainsi les embranchements et les gares remplis de trains allemands, proies de choix que les bombardiers soviétiques attaquèrent systématiquement.

Le « choc en retour » des Soviétiques s'étendit sur trente-sept jours, au cours desquels l'armée Rouge progressa vers l'ouest sur 150 kilomètres, environ, brisant les plans d'attaque des Allemands sur Koursk par le nord, repoussant sur Briansk une importante force ennemie, anéantissant une quinzaine de divisions allemandes et créant ainsi des conditions favorables pour la poursuite de l'offensive vers l'ouest.
Les forces des fronts de Voronej et de la Steppe, elles, avaient dû commencer la contre-offensive dans une situation difficile. Les combats défensifs, d'abord, puis la poursuite de l'ennemi leur avait coûté de lourdes pertes en hommes et en matériel. Maintenant, elles avaient en face d'elles un ennemi solidement installé sur ses positions défensives dans les régions de Bielgorod et de Kharkov.

 

Un ennemi harcelé et démoralisé

Les Allemands furent abusés par le calme relatif qui régna sur la face sud du saillant de Koursk du 24 juillet au 2 août. Comme ils restaient dans l'ignorance de ce que les Soviétiques préparaient et que leur propre estimation des forces ennemies et de leur déploiement dans le secteur était erronée, ils étaient loin de s'attendre à une grande offensive de l'armée Rouge sur ce point, à si brève échéance. De plus, ils ne disposaient plus, à l'époque, que de forces très réduites dans le saillant d'Orel. Enfin, le front du Sud-Ouest devait lancer son offensive à partir de la zone d'Izioum, le 17 juillet en direction de Barvenkovo, tandis que le front du Sud déclenchait la sienne sur le Mious.

Au cours de ces opérations, le front du Sud-Ouest avait franchi le Donetz septentrional en plusieurs points et menaçait de se ruer sur les arrières de l'ensemble des troupes allemandes du Donbass, tandis que le front du Sud avait enfoncé la ligne, fortement défendue, du Mious et s'était emparé d'une tête de pont, sur sa rive occidentale. Le haut commandement allemand avait, en conséquence, commencé à transférer ses troupes de la zone relativement tranquille de Bielgorod-Kharkov vers les régions d'Orel et du Donbass pour renforcer ses positions. Ainsi, le haut commandement soviétique, en organisant une coopération stratégique méticuleuse sur l'ensemble du front, avait réuni toutes les conditions favorables à une contre-attaque des fronts de Voronej et de la Steppe, en direction de Bielgorod et de Kharkov.

Les forces principales des deux fronts se trouvaient donc maintenant rassemblées au nord de Bielgorod, bien placées pour déclencher un assaut frontal sur le point de suture de la IVe armée blindée et du groupement tactique « Kempff », contre un ennemi épuisé et démoralisé par l'échec de son offensive sur Koursk. Toutes ces données ayant été prises en considération et afin de réduire au minimum les délais de préparation de l'opération, il fut décidé de ne pas essayer de procéder à une concentration compliquée et de frapper immédiatement un grand coup avec les forces des deux fronts vers le sud-ouest en direction de Bogodoukhov, Balka et Novaia Vodolaga, de façon à couper la IVe armée blindée du groupement tactique « Kempff » et de les détruire tous les deux.

Dans cette phase de l'opération, le front de Voronej devait affronter plus particulièrement la IVe armée blindée, en l'attaquant par l'est sur Akhtyrka, tandis que le front de la Steppe obliquerait au sud, vers Kharkov, en bousculant au passage les défenses allemandes de la rive droite du Donetz septentrional. Au moment où le front de la Steppe approchait de Kharkov, la LVIIe armée du général Malinovski (front du Sud-Ouest) frapperait à l'ouest, de façon à tourner Kharkov par le sud. Cette opération avait été préparée très rapidement et avait demandé de gros efforts de la part du commandement, des états-majors et des organismes politiques.

Les forces allemandes, en face, se composaient de 18 divisions, dont 4 de panzers - au total quelque 300 000 hommes - avec plus de 3 500 canons et mortiers et 600 chars, environ, appuyés par les 900 avions de la IVe flotte aérienne. Elles occupaient des positions bien installées comportant un grand nombre d'ouvrages défensifs.

La défense tactique de la zone était constituée par deux ceintures qui s'étendaient en profondeur sur une vingtaine de kilomètres. La ligne principale de défense était articulée elle-même en deux positions, chacune d'elles comportant une série de points d'appui et de nids de résistance que reliaient entre eux de profondes tranchées, elles mêmes dotées de boyaux de communication. Tous les villages avaient été équipés de façon à assurer une défense prolongée tous azimuts; quant aux villes de Kharkov et de Bielgorod, elles avaient été entourées d'efficaces ouvrages en bois ou en béton puissamment armés.

Au moment où l'opération allait se déclencher, les forces soviétiques disposaient d'une supériorité de 3 contre I en effectifs, de 4 contre 1 en chars et en artillerie et de 3 contre 2 en aviation. L'habileté du commandement avait encore accru cette supériorité dans les secteurs où devaient s'effectuer les percées.

La force de frappe principale du front de Voronej devait être constituée de formations des Ve et Vle armées ainsi que de la Ire armée blindée et de la Ve armée blindée de la Garde. Une concentration massive d'artillerie et de chars assurerait une pénétration rapide des défenses allemandes échelonnées en profondeur. A titre d'exemple, le secteur de la Ve armée de la Garde comptait 230 canons et mortiers et 70 chars au kilomètre. Une disposition particulière du plan d'opérations prévoyait que le front de Voronej lancerait les deux armées blindées dans la brèche faite par tes deux armées d'infanterie, de façon à réaliser une pénétration profonde et rapide.

La contre-offensive fut déclenchée dans la matinée du 3 août, après trois heures de bombardement par l'artillerie et l'aviation. A 13 heures, dès que l'infanterie eut entamé la position principale de l'ennemi, avec la Ve armée de la Garde, les blindés entrèrent en action. Les brigades de tête tirèrent parti des trouées pratiquées dans les ceintures défensives et poussèrent en profondeur. Le 4 août, dans cette région, les groupes de choc soviétiques livrèrent de durs combats et poursuivirent leur progression au sud sans s'occuper des nids de résistance. Ils avancèrent ainsi de vingt kilomètres, et, le 5, le 270e régiment du colonel Seriougine, de la 89e brigade de fusiliers de la Garde, les avait conduits dans Bielgorod.

Ce coup puissant et inattendu des Soviétiques avait considérablement détérioré la situation des Allemands dans le Sud. Les divisions de panzers, fraîchement arrivées d'Izioum, de Barvenkovo et du Mious, battirent hâtivement en retraite non sans être malmenées par une série d'attaques aériennes.
L'action des partisans ukrainiens contre les voies ferrées à l'arrière des lignes allemandes fournit une aide efficace aux troupes soviétiques : ils avaient fait dérailler plus de 1000 trains de ravitaillement et de renforts au cours des mois de juillet et d'août.

 

Une lettre du front

Les brèches pratiquées dans leur système défensif et les pertes subies dans les premiers jours- de la bataille avaient complètement démoralisé les Allemands. Dans une lettre adressée à son frère, un sous-officier, Otto Richter, dit : « Mon cher Kürchen. Tu me connais. Je ne suis pas de ceux gui perdent la tête et qui s'affolent. J'ai toujours cru en notre mission et en la victoire. Mais aujourd'hui, ce seront mes adieux. Que cela ne te surprenne pas, je dis bien mes adieux. A jamais. Il y a peu de temps, nous partions à l'attaque. Tu ne peux pas te faire une idée de l'horreur et de l'accablement qui nous attendait. Nos soldats s'avançaient bravement, mais les Russes, de vrais démons, ne voulaient pas céder d'une semelle : chaque mètre nous coûtait la vie de plusieurs camarades. Et quand, à leur tour, ces excités nous foncèrent dessus, nous autres qui essayions de nous sauver, on peut dire qu'ils nous ont sonné les cloches! Nous avons abandonné Bielgorod hier. Nous ne sommes plus beaucoup... Dix-huit seulement, sur toute la compagnie. Et encore, nous n'avons pas trop à nous plaindre : à la 1e, ils ne sont plus que neuf!... Mon Dieu! Comment tout cela va-t-il finir ?.. »

Revenons aux troupes des fronts de Voronej et de la Steppe. Elles poursuivaient toujours l'ennemi. Des éléments de la I,e armée blindée et de la VIe armée de la Garde, après avoir progressé de prés de 100 kilomètres en cinq jours de combats ininterrompus, s'étaient emparés, le 8 août, de l'un des centres de résistance les plus importants de l'ennemi, la ville de Bogodoukhov, coupant ainsi en deux les forces allemandes de la zone Bielgorod-Kharkov.

Le 11 août au soir, les troupes du front de Voronej avaient considérablement élargi la trouée vers l'ouest et le sud-ouest, et leur aile droite avait atteint les points d'appui de l'ennemi à Boromlia, Akhtyrka et Kotelva, tandis que leur aile gauche avait coupé la voie ferrée Kharkov-Poltava au sud de Bogodoukhov et dépassé Kharkov .à l'ouest, créant ainsi une sérieuse menace pour les forces allemandes qui s'acharnaient encore à défendre la région de Kharkov. L'offensive du front de la Steppe, de son côté, avait également progressé entre le 8 et le 11 août et atteint le périmètre extérieur des défenses de Kharkov. La LVIIe armée soviétique (général Gagen), qui avait franchi le Donetz septentrional et s'était emparée de l'important centre ennemi de Tchougouiev, s'approchait, elle aussi, de Kharkov, mais par l'est et le sud-est.

Les Allemands faisaient maintenant des efforts désespérés pour entraver la progression soviétique et essayer de conserver Kharkov, dont la perte ouvrirait aux Russes la porte de l'Ukraine. C'étaient spécialement les unités qui s'avançaient au sud de Bogodoukhov qui les inquiétaient car elles laissaient prévoir leur encerclement dans Kharkov par l'ouest et le sud. Le haut commandement allemand décida alors de jeter dans la balance le gros des forces qu'il avait fait venir du Donbass. C'est ainsi que, le 11 août, se trouvaient rassemblées dans la région trois divisions de panzers des Waffen S.S., reconstituées après avoir beaucoup souffert : les divisions a « Das Reich », « Totenkopf » (Tête de mort) et « Viking ». On les lança contre la IIe armée blindée et sur une partie du flanc gauche de la VIe armée de la Garde.

De sanglants combats se déroulèrent au sud de Bogodoukhov, entre le 11 et le 17 août. Les Allemands avaient réussi à reprendre la supériorité en chars, grâce à l'appoint des divisions de Waffen S.S., ils purent ainsi repousser les Russes de 20 kilomètres vers le nord. Mais, le commandement soviétique ayant immédiatement envoyé sur ce point critique la Ve armée blindée de la Garde, l'ennemi ne put parvenir à percer le front pour prendre à revers la force de frappe du front de Voronej. Le 17 août, les pertes subies par lui le contraignirent à la défensive.

A la suite de cet échec, le haut commandement allemand prépara, vers le milieu du mois d'août, une offensive contre Bogodoukhov à partir de l'ouest (région d'Akhtyrka). Son intention était de couper le saillant au sud d'Akhtyrka, de pousser sur Bogodoukhov et de détruire le gros de la masse de manoeuvre du front de Voronej. Mais, de son côté, te haut commandement soviétique, devinant cette manoeuvre, concentra dans le secteur des forces fraîches prêtes à réagir. En trois jours de combats intenses, du 18 au 20 août, le front de Voronej fit échouer cette nouvelle tentative ennemie, d'abord en arrêtant l'avance allemande, puis en la rejetant sur sa ligne de départ.

La front de la Steppe, lui, avait enfoncé, le 13 août, la ceinture extérieure des défenses ennemies disposées autour de Kharkov, mais les Allemands continuaient à mener un wombat retardateur acharné en s'appuyant sur un système défensif bien articulé. Ils savaient que si Kharkov tombait, c'étaient toutes leurs troupes du Donbass qui seraient en danger, aussi avaient-ils décidé de stabiliser le front et de conserver entre leurs mains la région industrielle de Kharkov, à quelque prix que ce frit. Von Manstein avait reçu des ordres en conséquence.

Du 18 au 22 août, les combats furent particulièrement farouches sur les flancs du front de la Steppe. Finalement, au soir du 22, la Ve armée de la Garde et la LIIIe armée avaient dépassé Kharkov à l'ouest et au sud-ouest, cependant que la VIIe armée de la Garde et la LVII° armée en avaient fait autant au sud-est et à l'est. Les Allemands étaient donc presque complètement encerclés. Ils ne contrôlaient plus que la route et la voie ferrée de Kharkov à Merefa et à Krasnograd, bien que cet étroit couloir fût constamment soumis aux attaques aériennes des Russes. Le commandant du front de la Steppe, le maréchal Koniev, écrit: « Quelle solution adopter, tel était le problème. Nous pouvions, bien sûr, engager la totalité des moyens qui nous étaient nécessaires pour couper _ ce couloir, encercler l'ennemi dans la ville et l'y achever. Mais détruire une force aussi importante dans une ville aussi fortifiée nous aurait pris beaucoup de temps et causé beaucoup de pertes. Il y avait une autre solution prendre la ville d'assaut, en chasser l'ennemi et réduire à néant, en rase campagne, ce qui lui restait déforces. »

Dans l'après-midi du 22 août, les Allemands commencèrent leur évacuation. Afin de leur interdire une retraite en bon ordre, de récupérer ce qui aurait été pillé et d'éviter la destruction de la ville, le commandant du front de la Steppe ordonna un assaut dans la nuit. La charge de s'emparer de la ville elle même fut confiée à la LXIXe armée (général Krioutchenkine) et à la VIIe armée de la Garde. Toute la nuit, ce furent des combats de rue extrêmement violents. Les Allemands avaient transformé les immeubles en autant de blockhaus en installant de l'artillerie de moyen calibre aux étages inférieurs et des tireurs munis d'armes automatiques aux étages supérieurs. Enfin, toutes les voies qui menaient à la ville avaient été soigneusement minées et barricadées. Mais les troupes soviétiques, ayant contourné les fortifications de l'ennemi avec adresse, s'infiltrèrent au milieu de ses défenses et attaquèrent sa garnison avec audace et détermination. A midi, le 23, à l'issue de ce combat acharné, la ville, qui avait eu tant à souffrir des Allemands, était complètement débarrassée d'eux. La plupart des unités ennemies avaient été écrasées et les quelques survivants s'enfuyaient le long de la Merefa et de la Mja, avec l'armée Rouge à leurs trousses, laquelle récupérait des quantités de matériel abandonné.

Les forces soviétiques avaient détruit environ 15 divisions ennemies. Elles menaçaient maintenant toute l'aile sud du front allemand et disposaient d'une excellente position favorable à une offensive qui libérerait l’Ukraine « de la rive ouest » et atteindrait le Dniepr.

 

Dernière bataille pour la victoire

La bataille de Koursk s'était terminée par une brillante victoire des Soviétiques sur un ennemi habile et encore dangereux. C'est - avec Stalingrad - un des événements les plus importants de toute la guerre ; l'un des plus décisifs. Elle avait commencé au moment où l'équilibre des forces penchait en faveur de l'armée Rouge, dont le commandement, à tous les échelons, marquait également de grands progrès.

Elle avait vu ensuite l'armée Rouge repousser la dernière tentative d'offensive d'été sur laquelle les Allemands comptaient pour retourner la situation, préserver l'Axe de la dislocation et réduire les conséquences politiques de la défaite de Stalingrad.

La « dernière bataille de l'Allemagne pour la victoire » - ainsi s'exprimaient les Allemands eux-mêmes en parlant d'elle - avait été perdue. Le Reich nazi et la Wehrmacht voyaient maintenant se dresser devant eux le spectre redoutable de la catastrophe. Keitel, le chef d'état-major de l'O.K.W., devait plus tard déclarer qu'après la défaite subie par les forces allemandes au cours de l'été de 1943 le haut commandement allemand savait que la guerre ne pouvait plus être gagnée par les armes.

Le prestige de l'Allemagne venait de subir une irréparable atteinte. Sur les 70 divisions engagées dans la zone de Koursk, 30 avaient été détruites, dont sept de panzers. En cinquante jours de combats, les Allemands, de leur propre aveu, avaient eu plus de 500 000 hommes tués, grièvement blessés ou disparus. L'armée Rouge avait fermement repris l'initiative stratégique et elle devait la conserver pendant tout le reste de la guerre. En un mot, Koursk était véritablement le point extrême du tournant décisif qui avait été amorcé à Stalingrad.

L'échec de l'offensive allemande sur Koursk devait porter le coup de grâce à toute la propagande allemande bâtie autour du mythe de la « nature saisonnière » de la stratégie soviétique, qui voulait que l'armée Rouge ne fût en mesure de partir à l'attaque que pendant les mois d'hiver. Les faits avaient montré qu'elle était capable, été comme hiver, de se battre. Une fois de plus, le haut commandement allemand avait mésestimé la puissance de l'armée Rouge et surestimé sa propre puissance et ses moyens. Parlant des batailles de l'été, Churchill a écrit "Les trois immenses batailles de Koursk d’Orel et de Kharkov, qui se sont toutes trois déroulées dans l'espace de deux mois, avaient sonné le glas de l'armée allemande sur le front de l'Est."

Le groupe de dirigeants allemands qui se partageait le pouvoir comprit que le moment était venu d'imaginer de nouvelles méthodes de faire la guerre. Il fut donc décidé de rester sur la défensive sur la totalité du front germano-soviétique, d'imposer à l'armée Rouge une guerre de positions et de gagner ainsi le temps nécessaire pour tenter de convaincre Américains et Anglais qu'on était arrivé à la « mi-temps » et qu'il convenait maintenant de profiter du rempart de l'Allemagne hitlérienne si l'on voulait préserver l'Europe du « péril rouge ». L'armée Rouge n'en laissa pas l'occasion. Elle continua de plus belle à frapper, sans interruption, tandis que le gouvernement soviétique mettait tout en oeuvre pour que fussent appliquées les décisions prises d'un commun accord par les Alliés.

La troisième contre-offensive (après Moscou et Stalingrad) conduite avec brio par les Soviétiques avait amené les Allemands à jeter sur le front de l'Est tout ce qui leur restait comme forces importantes. C'est ainsi que de nombreuses formations de chasseurs et de bombardiers, de même qu'une grande quantité d'unités et de groupes des autres armes, durent être prélevées sur le théâtre d'opérations de la Méditerranée. Cette ponction facilita grandement le débarquement des Alliés en Italie.

Quant aux relations de l'Allemagne avec les autres pays de l'Axe, elles devinrent nettement plus délicates. A l'annonce de la défaite de Koursk, les dirigeants de Finlande, de Hongrie et de Roumanie multiplièrent les efforts entrepris depuis Stalingrad pour trouver une solution à leur situation, qui devenait de plus en plus difficile. La victoire de l'armée Rouge, d'un autre côté, avait insufflé une vigueur nouvelle à la lutte que les différents pays occupés menaient dans l'ombre contre l' « ordre nouveau » que Hitler entendait instaurer en Europe.

Cette victoire de Koursk avait eu, d'autre part les plus heureux effets chez les Alliés ; elle renforça les sentiments de solidarité des différents peuples avec l'Union soviétique. Le président Roosevelt, lui-même dans un discours aux Américains, le 28 juillet, s'était exprimé ainsi : « L'offensive allemande - qui maintenant a vécu - lancée au début de ce mois n'était que la dernière tentative désespérée du Reich pour relever le moral de son peuple. Mais les Russes ne se sont pas laissé surprendre... Jamais il n'a été donné au monde entier d'assister à la démonstration de tant de dévouement, de tant de détermination, de tant d'esprit de sacrifice [...] que ceux manifestés par le peuple et les armées russes. »

La cause principale de l'échec de la stratégie des offensives de la Wehrmacht était la croissance constante, tout au long de la guerre, de la puissance de l'État soviétique et de ses forces armées, et la bataille de Koursk n'a fait qu'apporter un nouveau témoignage des talents militaires soviétiques. Enfin, la défaite des Allemands à Koursk était à peine consommée que, déjà, se préparait une grande offensive pour les mois à venir. L'armée Rouge allait attaquer sur un front de 2 000 kilomètres, de Velikié Louki à la presqu'île de Taman.

 


PARTIE 2 :   CARTES


Carte détaillant l'offensive allemande "Zitadelle" :
période du 5 au 23 juillet 1943.


Carte de la contre-offensive russe :
du 12 juillet au 23 août 1943.

Et une très riche galerie d'image à découvrir sur ce site russe


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