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39-45 Stratégie > Articles historiques > Pages d'Histoire > Massacre à Dieppe 

Massacre à Dieppe

Créé le : 23/9/2004
  Edition du : 24/9/2004
  Auteur : Zeedap

"39-45 Stratégie" vous propose pour enrichir vos connaissances et ne pas laisser tomber dans l'oubli de nombreux documents écrits au lendemain de la seconde guerre mondiale, de découvrir ou redécouvrir les aspects de différentes batailles ou évènements de ce second conflit mondial tel qu'ils furent présentés par la revue Historia à la fin des années soixante. Tous ces textes et images ont été retranscrits et numérisés grâce au concours d'un de nos lecteurs, connu sous le pseudo d'Albanovic.

 

 


(Historia Magazine  N° 40
du 22 août 1968)
 

SOMMAIRE

1 - Les Canadiens a Dieppe.

2 - Le point de vue Allemand.

3 - Les documents graphiques ( cartes )
 

 

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PARTIE 1 :

Auteur : R. W. THOMPSON[/B]. Né, en 1904. Etudes a Merchant Taylor. Correspondant de guerre pour le « Morning Post » puis capitaine au service de renseignements en 1940 et, plus tard, correspondant de guerre du Sunday Times, tout d'abord en Normandie, puis sur tous les fronts. Auteur de « Dieppe at dawn » (L’aube pointe sur Dieppe).

 

1. LES CANADIENS A DIEPPE

 

Côte française, 18-19 août 1942

L'opération « Jubilée » — le raid sur Dieppe — se solda par un désastre total pour les Alliés : des milliers de Canadiens périrent sur les plages au cours d'audacieuses attaques, malheureusement sans espoir, alors que les Allemands ne furent pratiquement pas inquiétés. Toutefois, ce désastre, pour tragique qu'il eût été, fut pour les Alliés riche d'enseignements dont ils devaient, par la suite, tirer un énorme profit lors des opérations de débarquement.

Au début du mois d' avril 1942, le petit port français de Dieppe, tranquille villégiature du temps de paix, fut choisi comme objectif d'une attaque par mer en raison de sa proximité des aérodromes anglais qui pouvaient envoyer des chasseurs en couverture. En fait, il s'agissait d'une opération combinée à grande échelle, qui devait dépasser en ampleur tout ce qui avait été fait jusque-là. « Une reconnaissance en force, selon les propres termes de Churchill, afin d'éprouver la résistance de l'ennemi sur l'un des secteurs les mieux défendus de la côte et de déterminer l'importance de la résistance qu'il fallait s'attendre à rencontrer pour prendre un port. »

L'idée d'une telle opération ne découlait pas seulement de la volonté britannique de harceler l'ennemi n'importe où et n'importe quand, mais procédait de la conviction intime qu' « un jour, quelque part, la reconquête du continent débuterait par l'apparition du premier soldat anglais ou américain pataugeant vers le rivage... » Mais il faudrait auparavant payer les renseignements et l'expérience nécessaires — et peut-être au prix de grands sacrifices.

   
 

 

Les hommes du régiment royal canadien effectuent leur débarquement suicide en plein jour.

 

Les péniches de débarquement sont le facteur limitatif de toute opération amphibie. A cette époque, il était possible d'embarquer et de débarquer 6 000 hommes environ, appuyés par 160 chars au maximum. Mais, en 1942, il ne fallait pas songer à établir et à maintenir sur les côtes de France, alors aux mains de l'ennemi, la moindre tête de pont, en dépit de la » clameur populaire » et de l'insistance américano-soviétique en faveur d'un « second front ». La seule opération raisonnable était un raid en force, avec l'appui de l'aviation, visant à infliger localement à l'adversaire le plus de dommages possible, à dérouter l'ennemi au maximum, et ce, en l'espace d'une journée -en fait, d'une marée à la suivante. Même dans ces conditions, un imposant convoi de navires devrait rester à proximité de la côte française, sous le feu des canons ennemis, pendant plus de neuf heures.

Ainsi, il ne suffisait pas de débarquer hommes et blindés ; il fallait les rembarquer à la fin du raid.

 

 

De Bismarck à Hindenburg.

Dieppe est située au fond d'un estuaire de 1 600 mètres de largeur, à l'embouchure de l'Arques, à trois kilomètres environ à l'est du milieu d'une bande côtière de 16 km comprise entre Berneval à l'est et Quiberville à l'ouest. Cet étranglement englobait la zone défensive de Dieppe, flanquée, à Berneval et à Quiberville, de batteries allemandes disposées de façon à couvrir les abords du port du côté de la mer.

Les plages de Dieppe, que longent deux grands boulevards bordés de pelouses, jardins, hôtels et pensions, avec le grand bloc blanc du casino (silhouette proéminente à l'extrémité ouest de la promenade), s'étendent sur près de 1 500 mètres à partir de la branche ouest du port. Elles sont flanquées de deux promontoires qui dominent toute la zone des plages et les voies d'accès à la mer.

En 1942, ces promontoires étaient redoutables : ils renfermaient les dispositifs de défense camouflés et enterrés. Le promontoire est, baptisé en code « Bismarck », était creusé de caves et de tunnels abritant des canons dont le nombre comme le calibre étaient inconnus des Anglais, qui en étaient réduits aux suppositions et allaient jusqu'à voir en « Bismarck » un « rocher de Gibraltar » en miniature. Le promontoire ouest, « Hindenburg », était beaucoup moins impressionnant, mais la neutralisation des deux forts, que ce fût par attaque aérienne ou par bombardement naval (avec les seuls canons légers des destroyers disponibles), était douteuse.

La garnison allemande — un régiment de la 302e division d'infanterie — était protégée par six batteries moyennes couvrant les voies d'accès à la mer. Des réserves importantes se tenaient prêtes à intervenir à la moindre alerte et une attaque par mer de la zone fortifiée de Dieppe représentait sans aucun doute l'opération amphibie la plus audacieuse jamais conçue et entreprise. On décida de jouer sur la tactique de l'attaque-surprise, ce qui demandait une préparation aussi minutieuse que complexe.

L'étude en fut confiée au Q.G. des opérations combinées en coopération avec les forces territoriales. Le nom de code « Rutter », prévu à l'origine, devint « Jubilée » après un « exercice » avorté ; l'opération fut ajournée quatre fois et le plan modifié à plusieurs reprises. Néanmoins, le secret fut conservé.

Le 18 août était le dernier jour de l'année 1942 à offrir les conditions de temps et de marée favorables. Le 17, 24 chalands avaient embarqué les nouveaux chars « Churchill » à couvert derrière un écran de fumée. Une force d'assaut de 6 086 officiers et hommes de troupe avait pris place à bord des navires de transport. Soixante escadrilles de chasseurs se tenaient prêtes à décoller — surtout de « Spitfire », mais il y avait aussi quatre escadrilles de « Mustang » de reconnaissance tactique et sept escadrilles de bombardiers et de chasseurs-bombardiers. Les canons de 100 des destroyers d'escorte représentaient le plus lourd armement de soutien rapproché disponible. Dans l'après-midi du 18 août, des dragueurs de mines avaient ouvert un chenal vers Dieppe et balisé les voies de passage, mais tout dépendait, en fin de compte, des conditions météorologiques.


 
Photo du débarquement.
 

Il avait d'abord été décidé que « Jubilée » commencerait le 17, mais le ciel se couvrit légèrement : « Les vents de sud-sud-ouest augmenteront pendant la journée et la nuit prochaines, devenant modérés à forts et virant à ouest-sud-ouest demain en début de matinée. Pluie durant la nuit dans cette zone, visibilité mauvaise. Mer belle à peu agitée. Légère houle. »

Nonobstant ces prévisions, 252 bâtiments appareillèrent dans la nuit du 18 de quatre ports de la côte sud : neuf navires de débarquement pour l'infanterie, huit destroyers, un sloop et une collection disparate de péniches d'assaut et de débarquement, ainsi que de petites unités. Tous ces bateaux convergèrent vers les dragueurs de mines des 9e et 13e flottilles. Ils parcoururent à grande vitesse, dans le silence radio et l'obscurité quasi totale, plus de 70 milles et arrivèrent, le 19, peu avant 3 heures, sans avoir été repérés, à 8 milles de Dieppe.

 

Objectifs « Rommel » et « Goebbels ».

Dès que la « flotte » émergea du champ de mines ennemi, les navires commencèrent à se repérer sur le vaisseau amiral — le destroyer Calpe — et son escorteur, le destroyer Fernie, pour prendre leurs positions. Les six destroyers restants se déployèrent vers l'est et vers l'ouest pour servir de sentinelles à l'expédition, prévenir une intervention navale de la part de l'ennemi et donner tout le soutien possible aux assaillants. Le convoi était organisé en treize groupes, chacun chargé d'une mission bien définie. Seul, un groupe avait des directives un peu spéciales qui rappelaient .l'époque de Drake : sept chasseurs de sous-marins des Forces françaises libres, conduits par la canonnière Locust, de la Royal Navy, devaient tenter de se ruer sur le port de Dieppe et d'y prendre 40 péniches de débarquement ennemies, qui seraient ensuite remorquées comme prise de guerre jusqu'en Angleterre. Pour le reste, les ordres étaient clairs : la 2e division canadienne devait « s'emparer de « Jubilée » [Dieppe] et de ses environs, occuper la zone jusqu'à l'achèvement complet des missions de destruction et d'exploitation, rembarquer et regagner l'Angleterre ».

Mille officiers et hommes de troupe environ des 3e et 4e commandos et du commando du Royal Marine, ainsi que 50 officiers et soldats du bataillon des U.S. Rangers, avaient des rôles de soutien. Chaque groupe avait étudié et répété la mission qui lui était assignée (voir la carte) :

-Sur le flanc gauche, à l'est de Dieppe, le commando n° 3 devait débarquer à Berneval (Jaune 1) et à Belleville sur Mer (Jaune 2) pour détruire la batterie « Goebbels ». Le régiment royal canadien débarquerait à Puys (Bleue) et détruirait la batterie de gros calibre « Rommel », puis attaquerait le promontoire est « Bismarck » ;

 

-Au centre, le régiment écossais d'Essex avait pour mission de débarquer dans la partie est de Dieppe (Rouge) et l'infanterie légère royale Hamilton dans la partie ouest (Blanche) ;

-A l'ouest de Dieppe, à Pourville (Verte), le régiment du Saskatchewan du Sud et le Queen's Own Cameron Highlanders canadien emporteraient la position fortifiée connue sous le nom de « ferme des Quatre Vents » et investiraient par l'arrière le promontoire « Hindenburg ». Des détachements s'avanceraient dans la vallée de la Scie pour s'emparer de l'aéroport de Saint-Aubin et du quartier général de la division allemande installé à Arques-la-Bataille :

-Sur le flanc droit, le commando n° 4 débarquerait à Vasterival et à Varengeville-sur-Mer (Orange 1), ainsi que sur un secteur de 1 500 mètres de plage à l'est de la Saane et à Quiberville (Orange 2) pour détruire la batterie « Hess ».

Le 14e bataillon de chars de l'armée canadienne était prévu comme soutien sur les plages de Dieppe, avec, en réserve, le Mont-Royal fusilier. Le commando « A » du Royal Marine participerait à la prise des promontoires, tandis que la manoeuvre de diversion s'effectuerait avec le Locust (qui, secondé par les chasseurs français libres, s'emparerait des péniches de débarquement et autres navires ennemis.

 

Attendre et espérer.

A 3 heures, les bâtiments de débarquement de l'infanterie, transportant les hommes chargés d'attaquer les plages Bleue et Verte sur les flancs intérieurs, à Puys et à Pourville, mirent à la mer leurs péniches. Les commandos sur les flancs extérieurs étaient déjà en mouvement derrière leurs canonnières, et ainsi, à 3 h 30, 5 000 hommes se trouvaient dans les péniches de débarquement, suivant les canonnières qui devaient les mener à terre. Lorsque les groupes latéraux s'écartèrent du convoi, les groupes d'assaut des plages principales se mirent en position sur la ligne du centre. A 3 h 30, donc, tout allait bien.

Entre-temps, le vice-amiral lord Mountbatten et le général canadien Crerar avaient rejoint le général Leigh-Mallory au poste de commandement du Q.G. du groupe n° 11 du Fighter Command. Les cartes détaillées de toute l'opération étaient étalées devant eux, leurs escadrilles de chasseurs et de chasseurs-bombardiers prêtes à entrer en action. Le Q.G. du groupe n° 11 était en contact radio avec les chefs responsables de l'opération, le général Roberts, commandant les forces terrestres, et le capitaine Hughes-Hallett, la force navale, qui se trouvaient à bord du destroyer Calpe. Aucun de ces officiers généraux, pas plus en mer qu'à terre, n'aurait la possibilité, une fois les troupes lancées à l'assaut, de modifier, si 'peu que ce fût, le cours des événements ; leur seule ressource serait d'attendre et d'espérer.

D'après le plan de l'attaque, il apparaissait indispensable de déborder le promontoire « Bismarck » par l'arrière, c'est-à-dire à partir de la plage voisine (Bleue) de Puys. Si cette manoeuvre échouait, le débarquement sur les plages principales de Dieppe serait bien compromis, pour ne pas dire impossible. Le promontoire « Bismarck » était donc considéré comme la clef du succès de cette opération, et il incombait au régiment royal canadien, d'effectuer le mouvement tournant destiné à l'enlever.

 

Le terrain compris entre Berneval et Quiberville — la zone d'assaut — est fait de falaises calcaires à pic creusées de vallées et de ravins encaissés.

Tous les ravins et toutes les plages étaient obstrués du côté de la mer par des réseaux imposants de barbelés et, pensait-on, minés. Une sorte de brise-lames de roche calcaire, glissante, s'étend du côté de la mer à un kilomètre environ des rochers. Toutes les plages sont recouvertes de galets plats, ayant parfois jusqu'à 15 centimètres de diamètre, et de sable à marée basse. La pente des plages principales de Dieppe n'est que de 2,5 % et atteint 10 % au niveau de la digue ; néanmoins les chars éprouveraient quelque difficulté à manoeuvrer sur les lourds galets pour gagner la digue et la promenade. Le danger qu'ils fussent cloués sur les plages mêmes par le feu des défenseurs était considérable, et les groupes du génie seraient appelés à agir avec célérité pour déblayer le terrain et permettre aux blindés de progresser et de s'éloigner rapidement de cette zone dangereuse.

 

La mort règne sur les plages

Jusqu'à 3 h 35, tout le plan se déroula comme prévu, aussi calmement qu'à l'exercice. Quatre des cinq groupes de tête commençaient à s'éloigner du convoi, prenant leurs caps respectifs vers les zones d'assaut sur les flancs, tandis que les groupes du centre gagnaient leurs positions. C'est alors qu'un incident se produisit, qui causa une certaine confusion : la flottille de péniches de débarquement qui transportait le régiment royal canadien n'avait pas pris le sillage de la bonne canonnière et vingt précieuses minutes furent ainsi perdues, tandis que les chefs, au milieu de l'obscurité, essayaient de résoudre le problème. Dans la salle d'opérations du Calpe, la « traînée de points minuscules » sur l'écran du radar semblait prendre des proportions gigantesques. Le régiment canadien ne parviendrait sans doute pas à atteindre Puys à l'heure prévue, ni même à temps.

Dans l'intervalle, à 3 h 47, un tir d'artillerie ennemi s'abattit sur le flanc gauche, en mer. La canonnière chargée de conduire le commando n° 3 vers les plages Jaunes de Berneval et de Belleville sur Mer fit les frais de l'opération, ayant donné, tête baissée, dans un groupe de cinq chalutiers ennemis armés. Un obus éclairant avait illuminé le lieu de la rencontre. Moins de dix minutes plus tard, la canonnière, selon les termes du rapport officiel, n'était plus qu'une « boucherie », ses canons réduits au silence, ses chaudières trouées en cinq endroits et la plus grande partie de son équipage gisant, blessée, sur les ponts. L'incident avait été purement fortuit, et les vingt péniches de débarquement transportant le commando n° 3 s'étaient dispersées sans être touchées au milieu de la confusion générale ; mais il était fort improbable désormais que la batterie « Goebbels » de Berneval pût être réduite au silence.

Une péniche du groupe, toutefois, avait poursuivi sa route, évitant adroitement le bref accrochage en mer ; cette unique péniche débarqua trois officiers et dix-sept hommes exactement à l'heure prévue sur la plage de Belleville-sur-Mer. Cette poignée d'hommes munis de leurs seules armes individuelles et d'un mortier de 50 harcela la garnison de la batterie « Goebbels » au point que cette dernière ne put diriger aucun tir efficace sur la zone de l'objectif principal au cours de la phase essentielle des débarquements sur les plages de Dieppe. Six autres péniches du commando n° 3 retrouvèrent leur chemin trop tard et furent prises au milieu d'un feu croisé dévastateur alors qu'elles tentaient d'aborder sur la plage de Berneval. Quelques hommes à peine réussirent à gagner la plage pour y être finalement cloués sur place, incapables de progresser ou de se replier : entre les premières lueurs de l'aube et le plein jour ce matin-là, la mort régna en maîtresse absolue.

Au même moment, sur l'extrémité du flanc droit, le commando n° 4 débarquait exactement à l'heure prévue, détruisait la batterie « Hess » au cours d'une action menée avec détermination et adresse et, avant 7 h 30, se trouvait déjà sur le chemin du retour, sa mission accomplie.

 

« Il était impossible de bouger... »

 

Ce fut pratiquement le seul succès remporté au cours de l'opération « Jubilée ». Une heure plus tard, les assauts battaient leur plein partout et le feu intense en provenance du promontoire « Bismarck » ainsi que celui des batteries « Rommel », « Hitler » et a Goering » qui canonnaient avec précision, depuis leurs positions, derrière les plages, la zone d'assaut, accomplissaient leur oeuvre meurtrière. Ni les canons des destroyers anglais ni les attaques des chasseurs-bombardiers ou les écrans de fumée n'obtinrent de résultats appréciables ; sur la plage Verte de Pourville, et bien que le régiment du Saskatchewan du Sud ait réussi son débarquement, le Queen's Own Camerons surgissant à sa suite, reçut un accueil des plus chauds. Les troupes d'avant-garde continuaient à progresser vers leurs objectifs, mais elles allaient se trouver bientôt dans l'impossibilité de poursuivre leurs attaques, privées qu'elles étaient de l'appui des blindés et des renforts qui devaient venir des plages de Dieppe — et une telle éventualité semblait d'heure en heure de moins en moins probable.

Sur la plage Bleue de Puys, le régiment royal canadien avait été pratiquement anéanti. N'ayant pas réussi à rattraper le temps perdu dans la confusion du début, ses péniches se trouvèrent prises dans le faisceau lumineux d'un projecteur pendant la dernière partie du trajet. Le régiment, dix-sept minutes plus tard, tenta le débarquement alors que le jour était complètement levé. Cette tentative était un suicide et le rapport officiel condense l'histoire en un seul paragraphe :

 

« Bien que tous les hommes eussent suivi leurs chefs avec promptitude, au bout de quelques minutes il ne resta d'un régiment d'assaut attaquant que deux compagnies sur la défensive. Il était impossible de bouger. Les soldats attendaient, couchés à plat ventre, un signe de leurs chefs. »

Sur les 27 officiers et les 516 hommes participant à cette action, il n'y eut finalement que 60 rescapés (57 hommes et 3 officiers). Le reste, avec des hommes de la Garde noire, de l'artillerie royale canadienne, des détachements débarqués sur les plages et des équipages des péniches de débarquement et des bâtiments de soutien, périt sur le rivage et sur les hauts-fonds de Puys — ou fut acheminé vers des camps de prisonniers.

De ce désastre on ignora tout à bord du Calpe. Les écrans de fumée presque incessants largués par l'aviation, les destroyers et les canonnières s'ajoutaient aux fumées et aux flammes de la bataille qui s'élevaient sur les plages de Dieppe, masquant ainsi toute la côte et une partie de la mer. De surcroît, c'est à ce moment-là que les conditions atmosphériques commencèrent à se détériorer. Les messages qui parvenaient de temps à autre aux chefs de l'expédition étaient non seulement fragmentaires et confus, mais souvent sans intérêt.

   
 

 

Bien des soldats qui appartenaient aux groupes d’assaut ne vécurent même pas assez longtemps pour atteindre le rivage. Les occupants de cette péniche ont été tués avant de pouvoir intervenir.

 
 

Alors que l'attaque avait déjà commencé depuis une heure, la canonnière Locust fonça entre les jetées avancées du port extérieur ; derrière, les chasseurs français libres et le commando du Royal Marine attendaient le signal qui leur permettrait de la suivre. Rien ne vint. Cinq minutes plus tard, le Locus (réapparaissait, chassé par le tir à bout portant des batteries déchaînées du promontoire « Bismarck ». Les canons du Locust: étaient de faible calibre, aussi les destroyers Albrighton et Berkeley, venus à la rescousse, secondés par le Calpe et le Fernie manoeuvrant à grande vitesse dangereusement près du rivage, canonnèrent-ils le promontoire avec leurs pièces de 100, mais sans résultat car la violence du tir ennemi continua d'augmenter.

 

75 français et 88 allemands.

La tentative de prendre Dieppe échoua sur les hauts-fonds et se termina sur les plages. Les Ecossais de l'Essex et le Royal Hamilton (qui débarquèrent au moment où les écrans de fumée se dissipaient, dégageant les promontoires et découvrant le rivage) se heurtèrent à un feu croisé et essuyèrent un déluge d'obus de gros calibre sur les hauts-fonds et les galets, au point que ce fut miracle si quelques-uns en réchappèrent. Cinq minutes après le début du débarquement, tout espoir s'était envolé. Les Ecossais de l'Essex ne pourraient jamais atteindre ni tenir la ville — la digue elle-même semblait pour beaucoup un objectif presque inaccessible. Quant au Royal Hamilton, il n'irait jamais renforcer les troupes de Pourville qui donnaient l'assaut à la ferme des Quatre Vents, pas plus que les blindés des plages ne leur viendraient en aide.

Le courage et le sang versé ne suffisaient pas pour venir à bout de défenses allemandes pourvues d'une telle puissance de feu. Quelques hommes restés lucides au milieu du désarroi général ripostaient du tac au tac au feu ennemi. Les mitrailleuses allemandes légères et lourdes, appuyées par des 75 pris aux Français en 1940 et par des 88 allemands, tiraient à vue. Les canons antichars et un tir soutenu de mortiers dirigé avec une froide précision par des officiers d'observation installés dans des abris sur le front de mer couvraient chaque mètre carré de plage. Quant aux batteries lourdes et moyennes, elles s'en prenaient aux navires anglais qui attendaient au large.

« Cet effroyable tir d'enfilade rendit la prise de la plage impossible et tout le reste du plan s'écroula. » Tel fut le verdict du Q.G. des opérations combinées.

 

« Ces satanés Allemands... »

Les Ecossais de l'Essex, couverts par les canonniers des petits navires et des bâtiments de soutien, se terrèrent dans les galets pour essayer de se protéger du feu ennemi et reculèrent en combattant. Le temps manquait pour tenter d'ouvrir des brèches dans les barbelés ennemis. Des hommes firent la courte échelle pour permettre aux autres de gagner tout au moins l'abri de la digue. Il n'y avait pas d'action organisée à l'échelon du bataillon, de la compagnie ou même de la section sur les plages de Dieppe, mais seulement de petits groupes agissant de leur propre initiative. En grenadant les pièces ennemies, une douzaine d'hommes suivirent le sergent-major Stapleton jusqu'à l'esplanade et les maisons bordant le boulevard. Pendant plus d'une heure, ces quelques soldats harcelèrent les patrouilles allemandes, abattirent les tireurs isolés et rejoignirent finalement leurs camarades.


 
Sous la violence du feu des défenses Allemandes, le courage et le sang versé ne servaient a rien.
 

Vers la droite, sur la plage Blanche, l'infanterie légère du Royal Hamilton se trouvait dans une situation analogue. D'un point proche du casino, un canon antichar de 47 et quatre de 37 tiraient sur eux à bout portant, tandis que, du promontoire « Hindenburg x ainsi que d'autres points impossibles à localiser, un tir de mitrailleuses, de mortiers et d'artillerie faisait de la plage un piège mortel. Des unités entières furent écrasées. Les tireurs isolés ennemis se montraient redoutables et la plupart des officiers et sous-officiers canadiens furent tués ou blessés, si bien que le bataillon se réduisit à quelques petits groupes d'hommes se mettant aux ordres des chefs qu'ils pouvaient trouver. Ainsi, deux groupes suivirent un capitaine et un sergent dans une attaque contre le casino et s'assurèrent un point d'appui provisoire, tandis qu'un sous-lieutenant emmenait un troisième groupe à l'intérieur de la ville. Un quatrième groupe tenta l'assaut du promontoire jusqu'au moment où il vit son chef inconnu tomber à mi-chemin du sommet ; tous les hommes, sans exception, furent tués.

Mais le gros de ceux qui réussirent à traverser la plage, comme les Ecossais de l'Essex, demeuraient cloués sur place à l'abri de la digue, attendant la mort, la capture, ou le repli. « Ces satanés Allemands semblaient pouvoir diriger leurs obus de mortier où bon leur semblait », remarqua le soldat Prince, un des rares participants de l'opération à nous donner un témoignage objectif sur celle-ci.

 

En gants blancs sur le pont

Les péniches-transports de chars (LST) qui tentaient de gagner les plages pour soutenir l'infanterie se heurtèrent à un feu ennemi puissant à 200 mètres du rivage, à l'instant même où elles émergeaient de l'écran de fumée, rampes baissées et portes ouvertes. Elles subirent des pertes considérables. En dix minutes de tir au but, les groupes d'assaut qui tentaient de débarquer de leurs chalands disloqués furent pratiquement exterminés. Des 71 hommes d'un groupe de sapeurs, 9 seulement survécurent — dont 4 blessés. Sur un total de 314 hommes du génie royal canadien, 9 officiers et 180 soldats furent tués ou blessés au cours du débarquement.

II avait été prévu de faire débarquer quatre groupes blindés dans la première vague et, malgré la violence du feu ennemi, dix-sept chars réussirent à toucher terre. Six purent atteindre l'esplanade. Cinq d'entre eux franchirent la digue tandis que le sixième grimpait les marches du casino ; battant pavillon du groupe « C », trois blindés s'engagèrent aussitôt, à toute vitesse, sur le boulevard, faisant feu de toutes leurs armes. Deux autres atteignirent des positions sur l'esplanade à l'est du casino ; le sixième tomba dans un piège antichar et son équipage fut tué. Au reste, cette action ne servit pas à grand-chose : l'un des blindés démolit une maison et deux autres regagnèrent la plage, leurs munitions épuisées. Ils se battirent jusqu'au bout, mais il n'y eut aucun survivant pour raconter leur fait d'armes. Toute la journée, le pavillon du char englouti du commandant battit juste au-dessus de l'eau, triste symbole d'échec.

Des 24 chalands porte-chars qui participèrent à l'opération, 10 réussirent à débarquer 28 blindés au total ; aucun ne revint. Quatorze chalands regagnèrent l'Angleterre, escortés par deux destroyers, leurs dotations en munitions pratiquement épuisées.

 

Les lourdes pertes subies par les groupes de transmission, les détachements des plages et les officiers expliquent que les chefs chargés d'exécuter l'opération soient demeurés sur leur navire dans l'ignorance totale du déroulement des événements et de l'ampleur du désastre. Peu après 6 heures, le commandant de la force fit donner la réserve, les fusiliers Mont-Royal, mais il s'agissait en réalité d'une manoeuvre menée à l'aveuglette. Le gros du corps de réserve, à peine débarqué, se vit contraint de chercher un abri dans les galets et de combattre ou mourir sur place ! Le reste du bataillon demeurait totalement isolé au pied du « Hindenburg » sans possibilité de se dégager. La bataille de Dieppe terminée, 288 officiers et soldats des fusiliers Mont-Royal furent capturés par les Allemands.

A 8 heures, le commandant de l'opération « Jubilée », ignorant tout encore de la situation réelle, décida d'envoyer en renfort sur la plage Blanche le commando du Royal Marine, relevé de sa mission d'interception. A 8 h 30, donc, les fusiliers marins quittèrent les chasseurs pour embarquer sur des péniches et commencèrent à avancer sous le couvert de l'écran de fumée — mais il était devenu extrêmement difficile désormais d'approcher des plages. Lorsque le Royal Marine émergea de l'écran de fumée tendu par l'aviation et les destroyers, il se heurta à une des plus meurtrières concentrations de feu de cette triste matinée. Il tint bon, ainsi qu'en témoigne le rapport officiel : « Avec un extraordinaire courage, les fusiliers marins débarquèrent, fermement déterminés à répéter à Dieppe, si Dieu le voulait, ce que leurs pères avaient accompli à Zeebrugge. »

Mais ce ne devait pas être le cas. En un moment d'illumination, et alors que les péniches de tête arrivaient en vue de l'ennemi, le lieutenant-colonel J.P. Phillips, leur chef, comprit la nature de la tragédie de Dieppe tout entière. Sans hésiter, il enfila ses gants blancs et, debout sur le petit pont avant de la péniche, bien en vue de ses hommes mais aussi de l'ennemi, il fit signe aux fusiliers marins de faire demi-tour. Six embarcations réussirent à faire volte-face, mais le colonel ne survécut que vingt secondes à son acte héroïque. Du moins avait-il sauvé 200 hommes d'un désastre certain.

 

Trois heures contre la mort.

Finalement, à 9 heures, le repli des survivants fut décidé. Les plans de cette opération, qui paraissent, avec le recul, d'un optimisme démesuré, prévoyaient son étalement sur trois heures. Ils se révélèrent tous peu réalistes car il ne s'agissait plus que d'évacuer des plages principales le plus grand nombre possible de rescapés. Les équipages des bâtiments de secours se préparèrent donc pour l'épreuve finale.

A 10 h 22, les destroyers qui restaient se mirent en ligne pour suivre les péniches. Le vent d'ouest, qui commençait à souffler vers le rivage, aidait légèrement ces embarcations dans leur manoeuvre d'approche. Chaque bâtiment doté de canons et de munitions s'avançait en couverture rapprochée. Malgré ce renfort, les hommes qui combattaient désespérément sur les plages durent lutter contre la mort pendant trois heures encore. Cette dernière phase de la bataille vit d'héroïques combats d'arrière-garde qui demeurent parmi les plus remarquables faits d'armes des annales de l'histoire militaire et navale britannique. Les destroyers Calpe et Fernie longèrent à toute vitesse les plages d'un bout à l'autre, tirant de tous leurs canons ; le destroyer Berkeley coula, touché par une bombe ; la situation paraissait sans espoir.

Pourtant, le 19 août, en début d'après-midi, les hommes et les navires rescapés de l'expédition de Dieppe se dirigeaient vers l'Angleterre sans être sérieusement menacés par l'aviation ou la marine allemandes.

 

Les leçons d'un échec.

 

Il fallut six jours pour dresser le bilan de l'opération. Les Canadiens avaient perdu 215 officiers et 3 164 hommes, les commandos, 24 officiers et 223 hommes. On comptait, au total, 494 officiers et 3 890 hommes tués, blessés ou disparus. Les véhicules et le matériel avaient été abandonnés sur les plages.

Les unités de transport aussi avaient été sévèrement touchées, plus particulièrement les équipages des bâtiments légers, qui s'étaient trouvés constamment à proximité des plages. La Royal Navy avait perdu en tout 81 officiers et 469 officiers mariniers et matelots, ainsi que 34 bâtiments, y compris le destroyer Berkeley.

En tant que raid, l'opération « Jubilée était un sérieux échec en raison de la rigidité du plan et d'un excès de confiance quant à la possibilité d'une surprise tactique sur un front relativement important. En outre, on avait prévu pour neutraliser les défense côtières une puissance de feu beaucoup trop faible. Ce fut là, au reste, la première de « leçons » tirées de l'échec.

On peut invoquer à l'actif de cette opération le fait que les « défenses ennemie aient été éprouvées », quelques bâtiments détruits, dont une usine à gaz, une fabrique de tabac incendiée. Mais, en fait, tout au long de cette journée, les Allemands ne furent jamais sérieusement inquiétés. Ils étaient for bien préparés à repousser une telle attaque et ce n'est qu'à 8 h 25 que le quartier généra Ouest allemand décréta l'état de grandi alerte. La 10e division de panzers et la division S.S. « Adolf Hitler » étaient prêtes à intervenir, si besoin était.

Toutefois, depuis ce jour-là, les Allemands redoublèrent de prudence et commencèrent à fortifier tout le littoral occidental sur lequel ils étaient installés.



PARTIE 2

Extrait de l'Histoire officielle de l'armée canadienne, 1939-1945, par le colonel C. P. Stacey.
 

 

2. LE POINT DE VUE ALLEMAND

Le communiqué du haut commandement publié après l'engagement fixe à 591 hommes les pertes subies par la Wehrmacht.

L'opinion des Allemands sur les troupes alliées engagées apparaît dans plusieurs textes officiels. Le rapport du Q.G. de la XVe armée observait que :

Le grand nombre de prisonniers britan­niques peut laisser des doutes sur la valeur des unités anglaises et canadiennes impliquées dans ce raid : loin de là. Les soldats ennemis, presque tous canadiens, ont fait preuve d'habileté et de bravoure partout où il leur a été possible d'engager le combat. -

Le rapport de la 302e division, qui était la formation directement au contact, précisait que : L'attaque principale contre Dieppe, Puys et Pourville a été lancée avec une grande énergie par la 2e division canadienne. Ce n'est pas le manque de courage, mais la concentration du feu défensif de notre artillerie divisionnaire et de nos armes lourdes d'infanterie qui a empêché l'ennemi de gagner du terrain à Puys et d'occuper momentanément à Dieppe des secteurs de la plage, à l'exclusion de l'extrémité occidentale du littoral et du môle à l'ouest. De plus, les équipages des chars n'étaient pas dépourvus d'esprit offensif [...]. A Puys, l'ennemi a fait preuve d'agressivité en s'efforçant, malgré le feu nourri de nos mitrailleuses, de franchir les barbelés parsemés de traquenards qui jonchaient le premier palier de la plage...

A Pourville, l'ennemi, aussitôt débarqué, s'avance à l'intérieur des terres sans s'inquiéter de la protection de ses flancs...

 

Les commandos, avec beaucoup d'élan et d'adresse, s'en prennent aux batteries côtières. A l'aide d'appareils techniques les plus divers, ils réussissent à escalader les falaises escarpées, en des endroits qui avaient semblé tout à fait inaccessibles...

   
 

 

Matériel abandonné sur les plages…

 

 


PARTIE 3 :   CARTES

   
 

 

Carte de la Manche et trajet des troupes de débarquement pour Dieppe.

 
   
 

 

Carte détaillée du débarquement.

 
 

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